Une fois n’est pas coutume, je ne vais pas parler de livres mais de série ! Comme pour ma première grossesse, j’en suis au stade où je suis complètement obsédée par les accouchements (c’est pour me préparer enfin !) : je lis des accouchements, j’écoute des accouchements, et forcément je regarde des accouchements.
Ainsi donc, la série Call the midwife (en français SOS : Sages femmes) est exactement ce qu’il me faut en ce moment. Cette série relate à travers 7 saisons (dont les 5 premières sont disponibles sur Netflix) les aventures d’une jeune sage-femme dans un quartier défavorisé de Londres dans les années 1950, jusqu’aux années 1965 pour la dernière saison. Cette série est basée sur les mémoires d’une véritable sage-femme, Jennifer Worth, et c’est ce qui fait sa force : au delà de l’aspect répétitif de chaque épisode (des patientes, des accouchements et des naissances) de l’adaptation TV, cette série montre au fil des saisons l’évolution de la société, et du métier de sage-femme.
Alors, même si la série n’est pas parfaite, je ne peux m’empêcher d’enchaîner les épisodes de Call the midwife les uns après les autres : moitié pour découvrir comment ça se passait il n’y a pas si longtemps que ça (et moitié parce que de toute façon, il faut bien que je m’occupe pendant mes insomnies 😴 !)
Accouchement à domicile et médicalisation
Si tous les épisodes de la saison 1 montrent des accouchements à domicile (et qu’aucune autre alternative n’est évoquée), les choses changent subtilement à partir des saisons suivantes : d’abord avec l’ouverture d’une petite maternité, puis plus tard d’un grand hôpital. Le discours que tiennent médecins et sage-femmes commence alors à changer et à devenir parfois culpabilisateur avec les femmes continuant de vouloir accoucher à domicile.
Au fil des saisons, quelques accouchements sont montrés en milieu hospitalier et la comparaison avantage toujours l’accouchement à domicile… Ainsi, hasard ou pas, le premier épisode montrant une épisiotomie est par exemple aussi le premier montrant un accouchement en maternité : dans une pièce stérile éclairée par une lampe de chirurgien (qui contraste terriblement de l’ambiance tamisée des accouchements à domicile), on voit un médecin attraper une paire de ciseaux. Le plan suivant, qui commence par un cri perçant, est filmé dans la pièce d’à côté : « C’est ma Kathleen que l’on torture comme ça ? Qu’est ce qui se passe ?! » « Ne vous inquiétez-pas, ça fait partie de l’accouchement. », rassure-t-on le père fou d’inquiétude, « C’est l’acte le plus naturel du monde. » : dans cette scène, le décalage total entre l’acte médical violent et l’emploi du mot « naturel » par la sage-femme en est presque drôle (si on aime l’humour noir…) !
Dans d’autres épisodes, la série met aussi très bien les mots sur ce que cela implique d’un point de vue professionnel. Des sages-femmes, habituées à un suivi global et des accouchements intimes, sont parfois envoyées en milieu hospitalier : elles ont alors bien du mal à se faire à ces nouvelles méthodes de travail, où le respect du protocole prime toujours sur le besoin de réassurance des patientes. Changement de personnel en plein milieu de l’accouchement, règles strictes et immuables, soins sur le bébé avant même qu’il soit présenté à sa mère, etc. Call the Midwife ne fait clairement pas éloge à la (sur)médicalisation de l’enfantement…
L’intervention d’une sage-femme auprès d’une femme accouchant dans une voiture soulève d’ailleurs une critique à laquelle je n’avais jamais pensé : « À cause de la mode des accouchements à l’hôpital, ça risque d’être de plus en plus fréquent si les femmes ne peuvent plus accoucher tranquillement chez elles ! » s’inquiète-t-on alors.
Pour autant, un équilibre semble atteint quand le choix est véritablement laissé aux femmes quand au lieu où elles souhaitent accoucher. C’est d’ailleurs parfaitement résumé dans le premier épisode de la saison 5 : « Le plus important, c’est de se sentir en sécurité. » Et une autre sage-femme de remarquer que « Peu importe où on accouche, les bébés sortent tous de la même façon ! »
Les méthodes de diminution de la douleur
C’est au cours de la deuxième saison que le gaz fait son arrivée fracassante : révolutionnaire pour les mères qui découvrent un accouchement sans douleur, c’est intéressant de réaliser que son utilisation induit un changement dans la dynamique des accouchements. Un médecin (homme) devant alors être présent pour gérer l’analgésie, les sages-femmes ne sont alors plus les accompagnantes principales à la naissance mais passent au second plan.
Dans un autre épisode, des personnages échangent sur l’accompagnement de la douleur : en 1950 déjà, certains médecins eux-même soutiennent que la médicalisation va trop loin. « Il n’y a pas si longtemps, les femmes accouchaient sans douleur car elles ne redoutaient pas l’accouchement. Aujourd’hui, leur instinct est étouffé par des médecins patriarcaux, trop dépendants de leurs outils. » s’attriste un médecin. Il rappelle que « le savoir est la clé du pouvoir » et milite pour une meilleure préparation des femmes à l’accouchement (et forcément, ça me parle).
Les mesures d’hygiènes
De ce côté là, c’est la fête : d’un côté, les sages-femmes font des visites à domicile pour s’assurer qu’un accouchement à domicile est possible ; de l’autre, sage-femmes et médecins fument joyeusement, même à la clinique ! « Mademoiselle, vous m’apporterez un cendrier en salle d’examen » demande le médecin à une sage-femme (qui fait aussi office d’assistante personnelle… on en parle plus bas…).
L’enfantement
Puisque dans Call The Midwife, les scènes d’accouchement ne manquent pas, j’apprécie aussi étudier l’évolution de la position dans lesquelles les femmes s’installent. Même pour les accouchements à domicile, en 1950, la position « allongée sur le dos », pas franchement physiologique, semble la norme ; à égalité avec la position « à l’anglaise », où la femme est allongée sur le côté. En cas de complication cependant, les sages-femmes demandent aux femmes de se mettre dans une position faisant jouer la gravité, comme à quatre pattes par exemples.
Dans plusieurs scènes, des femmes choisissent naturellement une autre position (au sol, accoudé au lit par exemple) et se font parfois rabrouer : « Mais enfin, vous n’êtes pas confortable ». Ainsi donc, déjà à l’époque, le confort de la femme accouchant est parfois confondu avec celui de la personne l’accompagnant. Dans un épisode, une sage-femme expérimentée rappelle pourtant que « Si elle est à l’aise, c’est bien ». Dans un autre épisode, alors qu’une sage-femme râle que sa patiente lui impose de modifier ses habitudes, sa collègue lui rappelle que « Nous devons pouvoir aider Nellie à accoucher comme elle le souhaite. »
J’ai aussi trouvé intéressant de noter que quand le bébé se présente de manière « exotique », la césarienne n’est pas nécessairement exigée, loin de là : les sages-femmes sont formées et savent aider un bébé présenté en siège à sortir ; même si effectivement, leur surveillance est plus accrue.
L’allaitement
À mon grand étonnement, cette question était peu abordée dans les premières saisons. Si systématiquement après l’accouchement, le bébé est emmailloté et posé contre la mère, aucune scène de tétée d’accueil n’est jamais montrée (ni évoquée). Mais le biberon ne l’étant pas spécialement non plus, pendant la première saison, j’ai eu le doute sur l’existence du lait en poudre. C’est finalement dans la saison 3 que la question de l’allaitement commence à être parfois mentionné et que j’ai pu y voir un peu plus clair sur le positionnement de l’époque : une sage-femme explique à sa patiente que « Vous allaiterez pendant quelques mois, vous ne pourrez pas travailler », énoncé sans aucune autre alternative. La patiente choisira pourtant de reprendre le travail assez vite après la naissance, et donc de nourrir son bébé au biberon ; créant ainsi de vifs regrets auprès d’une autre sage-femme « Il n’y a pourtant rien de meilleur que l’allaitement ! Je n’arrête pas de le dire aux mères : toutes les 4 heures ! ».
Dans une autre saison, les bienfaits de l’allaitement pour les prématurés semblent être connus même si rien n’est fait pour aider la mise en place logistique : une sage-femme se dévoue alors pour faire des allers-retours à vélos plusieurs fois par jour, afin de livrer du lait recueilli au tire-lait à l’hôpital accueillant le nouveau né.
Une question qui fait encore couler de l’encre aujourd’hui, est aussi soulevée dans un épisode : « Faut-il nécessairement donner le sein pour créer un lien fort avec son bébé ? » Naturellement, non : même si l’allaitement a de multiples bienfaits, ça n’est heureusement pas le seul moyen de créer un attachement à son enfant ; la maman adoptante de l’épisode, mais aussi les papas d’aujourd’hui et les parents biberonnants, en savent quelque chose !
Finalement, le plaidoyer à l’allaitement le plus éloquent a lieu dans l’épisode où une représentante de vente de lait en poudre vient vendre ses produits directement à la clinique. En donnant aux futures mamans la promesse de « rendre les bébés plus beaux et plus intelligent », son intervention mensongère scandalise les sages-femmes : « Nos bébés ont déjà le meilleur, et gratuitement ! Au sein ! ». La représentante de l’industrie de lait infantile sort alors son arme ultime « Comment pouvez vous refuser d’offrir à ces mères le choix ? Et si elles veulent retravailler ? » Ainsi donc, concilier allaitement et vie professionnelle ne semble pas évident à l’époque (mais l’est-ce seulement aujourd’hui ?). C’est aussi dans cet épisode que le besoin de nuance dans le discours pro-allaitement est évoqué : comment encourager une maman éprouvant des difficultés à allaiter, sans pour autant la culpabiliser si elle choisit de passer au biberon ?
Au final, sur les 5 premières saisons, on ne verra que deux mises au sein, timidement filmées. Au moins, on ne peut pas reprocher à Call The Midwife d’hyper-sexualiser le corps des femmes, vu le peu de poitrine visible 😅.
La place des hommes
Pour rappeler le contexte, la série se déroule dans quartier pauvre de Londres, dans les années 50-60. Les hommes travaillent au port, les femmes restent le plus souvent à la maison ; et si elles travaillent, c’est avec l’accord de leur mari évidemment.
Alors, quand la femme ne peut pas accomplir tous ses devoirs ménagers (laver les couches par exemple) (et oui, tout le monde est au lavable à cette époque), son mari ne manque pas de faire savoir que c’est un scandale qu’il doive l’aider. Dans un autre épisode, un père rappelle aussi que « Ce n’est pas à un homme de pousser un landau » quand une sage-femme lui demande d’aller promener ses 3 enfants pour qu’elle puisse s’occuper de la mère qui vient de vivre un accouchement difficile.
Dans les premières saisons, pendant l’accouchement, le père est d’ailleurs systématiquement mis dehors, même s’il souhaite être présent : c’est une affaire de femmes ! Sauf quand on a besoin du médecin évidemment, lui n’est pas un homme comme les autres. Dans un épisode, une sage-femme résume d’ailleurs parfaitement bien son statut tout-puissant : « C’est un médecin et un homme. Il s’attend à ce qu’on l’écoute. »
Au fil des années pourtant, on voit les choses évoluer timidement. Dans un épisode par exemple, deux sages-femmes vont lutter contre leur hiérarchie pour impliquer un mari à l’accouchement de sa femme : il souffre d’une dépression post-traumatique suite à la guerre et elles sont persuadées que cela l’aidera dans sa guérison. « Le sang n’est pas toujours mauvais » veulent-elles montrer à ce père.
Dans la saison suivante, des cours de préparations pour hommes sont organisés, ce qui provoque de vive discussions chez les sages-femmes : « Il ne manquerait plus que ça, et après ils vont vouloir venir à l’accouchement évidemment ! La naissance, c’est un moment entre femmes : la future mère doit être accompagnée de sa propre mère. » À l’autre bout de la table, une autre sage-femme réplique très justement que « Les hommes seraient un meilleur support pour leur femme s’ils en savaient plus sur l’accouchement. » Ça m’a d’ailleurs fait réfléchir : lors de mon accouchement, c’était mon mari qui était présent avec moi ; lors de ma naissance, c’était mon père qui était présent aux côtés de ma mère ; mais pour la naissance de ma mère, qui était là ? Et ma grand-mère ? Cette transition du rôle d’accompagnant de « mère en fille » à « mère en conjoint » est-elle uniquement due à une meilleure éducation des pères ?
J’ai aussi apprécié les conversations entre femmes, résolument féministes : elles sont bien consciente que « Pendant que les hommes sont à la guerre, ce sont les femmes qui font tourner le pays. » Mais aussi que, aussitôt la guerre finie, on leur demande gentiment de retourner à leur place…
De nombreuses autres thématiques
Et puis tellement d’autres sujets en rapport avec la grossesse et l’enfantement sont abordés ! En vrac : avortement (illégal à l’époque, donnant ainsi à voir des scènes difficiles), grossesses adolescentes, contraception, déni de grossesse, sexualité et handicap, difficultés de concevoir, adoption, parentalité et prison etc.
Et plus largement : maladies et validisme, putophobie, maladie mentale (et les chocs électriques qui vont avec pour soigner 😓), homosexualité (illégale aussi, et là on a le choix pour la « soigner » : chocs, thérapie de conversions ou hormones…), alcoolisme… et j’en oublie surement !
Vous l’aurez compris, Call The Midwife aborde énormément de thèmes, d’un point de vue très bienveillant : une série qui ne se moque pas et qui ne juge pas ses personnages, c’est suffisamment rare pour être évoqué !
Et aussi
Mais Call The Midwife, ça n’est pas que des accouchements : j’aime aussi la bande son délicieusement rétro ! Sans compter les coiffures et les robes de l’époque ❤.
Cette série n’est cependant hélas pas exempte de reproches : j’ai notamment beaucoup de mal avec les arcs narratifs secondaires (principalement des histoires d’amours) qui sont désespérants : soit de niaiseries, soit de clichés (personnellement, je n’en peut plus des histoires d’amour qui commencent par la femme qui se dit non-intéressée et de l’homme qui insiste tant et si bien qu’elle finit par dire oui…). Et je comprendrais aussi qu’on n’accroche pas forcément au côté « gentillet » de la série. Et pour finir mon paragraphe « râleries », est-ce qu’on peut arrêter avec les voix off qui baratinent en début et en fin d’épisode sur le sens de la vie, par pitié ?
Mais au final, les petits travers de Call The Midwife sont pour moi largement compensé par l’aspect « historique » de la société (les guillemets servent ici de pincettes, ça reste une série TV, pas un documentaire 🤗). C’est fascinant de découvrir d’où on vient et tout le chemin qu’on a parcouru !
Alors, connaissiez-vous cette série ? Ou peut-être vous ai-je donné envie de la regarder ou de lire les mémoires dont elle est inspirée ?
2 réflexions sur “Call the midwife, une série historique sur le métier de sage-femme”